Rapport Homme/Nature - Publié le 22/10/2017

Des tourbières et des hommes 1/2

Ce qui anime aujourd’hui le besoin de mieux connaître les tourbières en Pays de la Loire, repose sur la volonté de préserver des milieux considérés « d’exception » sur le plan environnemental. Toutefois, ce regard éminemment positif n’a pas toujours existé. La représentation de ces espaces, exploités depuis la préhistoire, est empreinte d’une certaine négativité, plus ou moins nuancée, selon les relations entretenues par l’homme avec cette terre noire.

Des usages

De bon marché, la combustion lente de la tourbe permet un dégagement de chaleur assez continu : une propriété qui ravissait les bouilleurs de cru ! Hors de cet usage très spécifique, le faible pouvoir calorique de ce combustible en fait une source d’énergie de piètre qualité. Si la tourbe devient une denrée stratégique lors des deux derniers conflits mondiaux, c’est parce que le pays souffre de pénurie. Elle est ainsi inévitablement associée au dénuement.

Parmi ses autres utilisations, la tourbe se démarque en tant qu’amendement organique. Mais de nouveaux engrais comprenant des produits de substitution tels que fientes de volailles, fibres de bois, écorces broyées, fumier…  seront cependant élaborés pour remédier au problème posé par son non- renouvellement.

L’exploitation

Si le régime de propriété et la taille du foncier conditionnent l’exploitation, un chantier se composera systématiquement d’un terrain offrant une épaisseur suffisante de tourbe à extraire et des parcelles dites de séchage. Avant le tourbage, la couche superficielle de végétation doit être décapée puis replacée afin de faciliter le travail et la cicatrisation du sol. L’extraction a lieu de mai à juillet, avant moissons et fenaisons, lorsque le sol est le moins gorgé d’eau. Effectué artisanalement, c’est un travail harassant. Des mottes sont découpées dans la tourbe à l’aide d’outils spécifiques (grand ou petit louchet, salet ou salais…). Le séchage se prolonge parfois jusqu’à l’automne, d’abord à plat, puis sous forme de monticules plus élaborés. Ce type d’exploitation, limité à quelques semaines, impacte de façon relativement modérée la surface et la profondeur des tourbières car le tonnage extrait reste faible. Vers 1950, l’intensification pousse à une forte automatisation, cause directe de la disparition ou de la forte dégradation de nombreuses tourbières.

En surface, l’activité agricole permet de récolter les rouches qui servent de pâture ou de litière. La récolte ayant court en période estivale sèche, il arrive que des maladresses provoquent des départs de feu. Ces incendies, particulièrement difficiles à éteindre, dégagent des fumées âcres au panache jaunâtre. Avec les crues d’automne, l’eau vient enfin au secours de la terre mais la mémoire collective s’en trouve profondément marquée.

Symbolisme

Dans l’entaille de la terre, dans le miroir de l’eau, dans la végétation parfois impénétrable, nait un sentiment d’hostilité qui exacerbe de nombreuses peurs comme celle de se perdre, de se noyer, d’être dominé par la solitude ou englouti par la nuit du sol. Pour tenter d’apprivoiser cet environnement, de nombreux récits, souvent sombres et inquiétants, ont été imaginés. Ces histoires sur les entités qui les hantent ou sur les efforts démesurés qu’exige leur traversée, sacralisent le monde sauvage. L’homme s’y comprend comme l’élément d’un ordre qui le transcende. Les tourbières inspirent ainsi une notion fondamentale et éminemment positive : le respect devant la nature.

Fanny Pacreau

Enquête d'Ordinaire

 

Bibliographie indicative

Les tourbières alcalines du marais poitevin, Parc interrégional du marais poitevin.

Lionel Visset (1986) « Les tourbières de Mazerolles dans la vallée de l’Erdre (Loire-Atlantique) Flore, végétation, évolution », Bulletin de la Société botanique de France. Lettres botaniques, 133 : 1, 81-96, DOI : 10.1080/01811797.1986.10824691

O.Manneville, V.Vergne, O.Villepoux et le groupe d’étude des tourbières, Le monde des tourbières et des marais, Edition Delachaux et Niestlé, La bibliothèque naturaliste, Paris, 1999.

Georges Nègre, La Tourbe. Formation, gisements français, exploitation, traitement, utilisation industrielle, Gaston Doin & Compagnie éditeurs à Paris, 1927.

Fanny Pacreau, Les Usages du lac de Grand-Lieu, 2001, Association Culturelle du Lac de Grand-Lieu.